lundi 20 octobre 2014

Les Fantasiestucke op 12 de Schumann

Dans ces huit pièces pour piano, Schumann navigue entre le monde fantastique d’E.T.A. Hoffmann, écrivain, compositeur et graveur  et sa vie personnelle. L’homme est en quête d’absolu dans la musique, dans ses lectures (les romantiques allemands), ses amours contrariées.
 
L’œuvre est écrite au printemps 1837. Elle est dédiée à une jeune pianiste écossaise : Anna Robena Laidlaw. Mais l’ombre de Clara Wieck trame ces Fantasiestucke. Schumann est séparé de sa bien-aimée, la fille de son professeur de piano.

Mais que signifie Fantasienstucke ?
Ce nom reprend le titre d’un recueil de nouvelles  d’E.T.A. Hoffmann : Les Pièces de Fantaisie à la manière de Callot. Mais Fantaisie n’a pas le même sens dans la langue de Goethe et dans celle de Molière. C’est plutôt d’imagination qu’il est question.

                                    Les Contes Fantastiques d'Hoffmann. Edition illustrée par David

Huit morceaux composent cet opus 12. Nous allons vous donner la traduction, enfin les traductions possibles, ce serait trop simple… Certains titres sont explicites, d’autres elliptiques. Qu’on en juge.

1 Des Abends : Au soir
2 Aufschwung : Elan, Essort
3 Warum ? : Pourquoi ?
4 Grillen : Chimères, Fantasmes, Idées noires
5 In der Nacht : Dans la nuit
6 Fabel : Fables.
7 Traumes Wirren : Songes troubles.
8 Ende vom Lied : Fin de la chanson, Epilogue

La musique est du pur Schumann : vive, fantasque, insaisissable parfois, souvent sombre. L’œuvre est relativement peu enregistrée comparée à d’autres grands opus du piano schumannien : la Fantaisie, les Scènes d’enfants, le Carnaval,  les Danses des Compagnons de David, les Kreisleriana...


Delphine Lizé (2006)  êêêê ²²²
Lumières tamisées, ombres menaçantes, brusques décrochages, ralentis langoureux, grandes échappés vers le rêve. Nous avons tous les ingrédients du désordre amoureux et de l'exaltation romantique. Cette instabilité chronique est cependant parfaitement maîtrisée. La jeune pianiste possède une technique sans faille, un toucher superbe. Elle rend cette musique très vivante et moderne. Ainsi  Traumes Wirren, fin de la section centrale : une guirlande de notes, quelques secondes de bonheur, avant de replonger dans la folie. La sensation dans Schumann, voilà l’intuition géniale de cette magnifique interprétation. Ecouter plages 1 à 8

Martha Argerich (1976)  êêê ²²
La célèbre pianiste argentine est connue pour son tempérament de feu, ses partis-pris audacieux. On a beau s’y attendre, chaque mouvement recèle des surprises, en premier lieu ces frémissements, ces instants d’abandon arrachés à la fièvre. Il suffirait de peu pour nous faire basculer dans un monde de douceur. Mais Argerich ne cède rien. Le mystère voisine avec le danger, la passion confine à la rage. Le rêve fait défaut, on peut le regretter. Ce Schumann  n’est pas à la portée de tous. La prise de son compacte n’aide pas. Vous voilà prévenu. Mais si vous aimez Martha, foncez. Ecouter

Marc-André Hamelin (1999) êêê ²²
Ce qu’Argerich nous refuse, Hamelin nous le donne : beaucoup de douceur, de délicatesse. Trop peut-être. Le pianiste contemple les étoiles dans Des Abends, très lent. Warum ? et son rubato erratique n’interroge guère. Capricieux, contrastés, Grillen et Fabel nous emmènent du côté des Papillons et du Carnaval de Schumann. Nous sommes vraiment dans la fantaisie et l’imprévisible. La palette expressive est étendue mais manque un peu de couleurs sombres. Il y a une volonté d’alléger cette musique, en préservant sa richesse et sa complexité. C’est bien. Ecouter plages 14 à 21

Yves Nat (1955, mono)  êêê ²²
Comparée aux versions précédentes, celle-ci peut sembler sage. Elle est surtout plus naturelle. Et dans Schumann, cette option aussi fonctionne, à fortiori lorsqu’elle va de pair avec une dimension fantastique comme ici. Les Contes d’Hoffmann ne sont pas loin. Un épais mystère sourd de cette lecture intime et chaleureuse. Le piano très ancré dans le grave, la matité sonore peuvent sembler d’un autre temps mais ajoutent au charme rustique de l’ensemble. Et la nuit, composante essentielle de l’œuvre, revêt une toute autre dimension que dans bien des interprétations ultérieures. Ecouter

Martha Argerich, en concert (1976)  êêê ²
En public davantage qu’en studio, Argerich se déchaine. Nous sommes bluffés par la transition fulgurante à la reprise du thème initial d’In der Nacht. La pianiste s’autorise de purs moments de grâce, comme ce toucher cristallin dans Warum. Pour les petits veinards qui étaient dans la salle, c’était sans doute être une soirée extraordinaire. Au disque, l’intérêt s’émousse au fur et à mesure des morceaux. La médiocrité de la prise de son finit par occulter complètement le côté fantastique de l’œuvre. La nuit s’est évaporée. Pour les fans de Martha. Ecouter plages 1 à 8

Claudio Arrau (1966)  êê ²²²
Arrau dans Schumann ou la distance par rapport au sujet. Ici, le soir et la nuit, l’élan, les chimères, les fables, les songes troubles ne sont que des mots. Le grand pianiste ne s’encombre pas davantage des indications de caractère en tête de morceau : avec humeur, avec passion, etc. Mais nous avons droit à la surprise du Chef. D’où sort ce Fantasienstuck n° 9, inséré entre Grillen et In der Nacht ? Le format est trop court, la substance trop légère pour s’intégrer à l’ensemble. Mais si vous aimez le beau piano, bien articulé, les lignes pures et que vous possédez une bonne chaine Hi-Fi, vous allez vous régalez.


La version de référence




A écouter également
Une autre oeuvre inspirée par E.T.A. Hoffmann, les Kreisleriana, dans la version de Vladimir Horowitz (1969) êêêê ²²

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