Début des années 1820. La vie créatrice dc Beethoven est un immense chantier. Trois sonates pour piano (les trois dernières : opus 119, 110 et 111), les Variations Diabelli, également pour piano et La Missa Solemnis sont en cours d’élaboration. Un travail de titan.
Les ennuis de santé, les crises de douleurs dues à la surdité, n’altèrent pas les facultés du Grand Maître. Ebauchée à la fin de 1820, la 31ème sonate est terminée en décembre 1821. Mais Beethoven, insatisfait de la fugue finale, reprends entièrement le troisième mouvement au début de l’année suivante.
La forme est audacieuse. Ce fameux troisième mouvement est le centre de gravité de l’œuvre et représente plus de la moitié de celle-ci (comme le dernier mouvement des sonates op 109 et 111.) Il « contracte » un arioso lyrique et une fugue, d’ abord simplement énoncée, puis reprise avec le thème inversé. Les néophytes risquent de trouver bizarre cette construction. La brièveté du scherzo surprend également. Quant au Moderato initial, il semble se construire sur plusieurs plans à la fois. Avec l’op 111, Beethoven ira encore plus loin dans la destruction de la forme sonate et les changements de climat au sein d’un même mouvement. Bienvenue dans un monde complexe et instable. Bien du courage aux interprètes !
Rudolf Serkin (1960) êêêê ²²²
Serkin dans Beethoven, c’est comme Haroun Tazieff et les volcans. L’autorité suprême, la référence. C’est la puissance intelligente et surtout l’évidence. Pas d’envolée lyrique, pas de déconstruction, pas de conflit entre le mode sensible de l’Arioso et l’abstraction de la fugue. Tout se tient d’un bloc. La sonate nous est offerte comme si elle avait toujours existé. D’une ampleur symphonique, le dernier mouvement dilate le temps. C’est à lui seul un monument. Cerise sur le gâteau : ce piano d’airain procure un vrai plaisir de l’écoute. Attention ! Il s’agit de la gravure studio Sony de 1960 et non de celle de 1971.
Stephen Kovacevich (1973) êêêê ²²²²
La pureté des lignes inscrit cette interprétation dans le sillage de Serkin, avec une architecture encore plus élaborée, un jeu plus ciselé, plus sensible aussi. Kovacevich tient l’instrument avec une fermeté digne des plus grands. Après un scherzo à tombeau ouvert, l’Arioso s’élève en notes d’or, très haut dans le firmament musical, avec de subtiles résonnances. La fugue et sa reprise sont impeccables de naturel. Le piano a un joli grain, des sonorités mordorées, riches en harmoniques. Cet enregistrement Philips a été repris dans un album de la collection Great Pianists of the 20 th Century, avec six autres sonates de Beethoven, de très haute volée. La seconde version de Kovacevich (EMI), n’a pas la même beauté sonore.
Sviatoslav Richter, en concert à Prague (1965, mono) êêê ²
Le pianiste russe semble jouer dans l’urgence, sans conception d’ensemble. Il alterne les épisodes bien tenus et des contractions, des saillies. Les accentuations manquent à certains endroits mais tombent brutalement à d’autres. Violent, instable, le scherzo contient de sacré coups de griffe. Richter sait aussi caresser. Son toucher est magnifique. L’Arioso nous plonge dans le rêve. Mais quelle acoustique bizarre ! Les notes de cristal et de diamants résonnent dans un espace sans perspective, flottent ou s’écrasent dans la quatrième dimension. Etrange et envoutante version qui s’achève dans une course à l’abime.
Alexeï Lubimov (2009) êêê ²²²²
Pianiste et claveciniste, Lubimov joue un pianoforte de 1838, fruité, un peu rude dans les forte, mais agréable. Bien sûr, les graves n’ont pas la richesse des pianos de concert. Mais la matière est belle. On a envie de toucher. Le jeu leste et nuancé met l’accent sur certains rythmes et contretemps. Lubimov ne sonde pas les hauteurs ou les profondeurs de la sonate comme Serkin ou Kovacevich . Il en évacue le contenu préromantique et lui donne un aspect très contemporain. Le boitier du CD est de toute beauté. On s’étonne qu’il ne sente rien. EcouterEcouter plages 3 à 6
Elisabeth Leonskaja (2009) êêê ²²²
Le Grand Sourd était aussi un grand sensible. La pianiste russe ouvre toutes grandes les brèches du Moderato. Avec délicatesse, elle introduit le doute et le trouble. Les sonorités moirées de ce piano dissimule un affolement intérieur qui envahie le troisième mouvement. « Que vais-je devenir ? » interroge l’Arioso avant la reprise de la fugue, hésitante, ambiguë. Et si l’opus 110, au-delà de la surdité, était l’intuition d’une fin du monde intime ?Ecouter plages 4 à 6
Alfred Brendel (1995) êê ²²²
Le piano occupe tout l’espace. Impossible de s’échapper. Les notes sont rondes, épaisses comme des troncs. C’est une belle forêt, mais une forêt de studio. Tout est pensé, contrôlé, digitalisé. Les rares inflexions ne font que souligner la solidité de la structure et la maîtrise du discours. La forme a engloutie le fond. C’est Brendel dernière manière dans Beethoven. On goûte les yeux fermés ou on détale trouver l’air frais ailleurs.
Les deux versions de référence
…et la version avec le plus joli boitier
A écouter également
La 32ème Sonate (op 111), bien sûr, par Stephen Kovacevich (1973) êêêê ²²²²
sur le même disque Great Pianists of the 20 th Century, ou par Inger Sodergren (1989) êêêê ²²², et beaucoup d’autres excellentes versions. Consulter une discographie détaillée
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