Cette partition étrange et venimeuse révèle une immense fracture. Après l’erratique Troisième Symphonie, Chostakovitch retrouve la sûreté de style de la Première Symphonie. Mais il doit faire allégeance à Staline et à ses sbires du contrôle de la pensée et de la création artistique.
En janvier 1936, la Pravda se déchaine contre son opéra Lady Macbeth de Mtsensk. La Quatrième Symphonie est en répétition. La première exécution est prévue en décembre de la même année. Mais le compositeur préfère retirer l’œuvre, qui attendra vingt-cinq ans avant d’être créée par Kirill Kondrashine le 30 décembre 1961. Aujourd’hui encore, elle reste relativement méconnue, mais n’a rien perdu de sa force expressive. Ce n’est pas l’entrée idéale dans le monde de Chostakovitch. L’ironie, le second degré ne suffisent pas toujours à dissiper le sentiment d’oppression. Mais les amateurs d’émotions fortes seront comblés.
Le premier mouvement est une expérience à lui tout seul. Il n’a aucun équivalent dans toute l’œuvre de Chostakovitch : près d’une demi-heure de folie entrecoupée de rémissions. Vous aimez la musique en écoute large, à un certain volume ? Alors, mettez vos proches à l’abri et alertez les voisins. Si vous êtes seul, prévoyez un réconfort, un en-cas. A moins que l’effroi ne le cède à la jouissance. Après le second mouvement, espèce d’entre-deux bizarre, le troisième conduit lentement mais sûrement à un paroxysme sonore, caricature de final de symphonie. On pense à Mahler. La fin, la vraie, est un paysage dévasté. Quelque part, la vie semble reprendre. Une œuvre géniale, une fin extraordinaire.
Moscow Philharmonic Orchestra, Kirill Kondrashine (1962, mono) êêê ²
C’est lui qui a fait découvrir cette symphonie au monde libre, avec cet enregistrement réalisé de l’autre côté du rideau de fer. L’horreur du stalinisme plane encore. Kondrashine dirige les poings serrés. Sa conception est guerrière, viscéralement. Aucun humour, aucune étrangeté, ni de second degré. Le chef ne relâche jamais la pression, même dans les épisodes de détente du dernier mouvement. Après un tutti rempli d’horreur, la symphonie s’éteint dans la désolation. La facture orchestrale est ingrate : cuivres stridents ou caverneux, cordes exsangues, bois sans chaleur. La prise de son, très soupe à la grimace, n’aide pas. Pour les passionnés. Ecouter Volume 2 plages 1 à 3
The USSR Ministry of Culture Symphony Orchestra, Guennadi Rojdestvensky (1984) êêêê ²²
Le sarcasme, la caricature, la rage d’en découdre suintent par tous les pores de cette version. Soli pulpeux, tutti dévastateurs, couleurs criardes, tout est taillé à la hache. Les bois persiflent, les cuivres tranchent, les contrebasses vrombissent, les timbales cognent. La violence, la peur sont omniprésentes. Rojdestvenski sort les crocs dès le début et prend son temps. Le loup sait qu’il mangera la petite chèvre. Le fugato du premier mouvement est vertigineux et mènent à un cataclysme sonore. Férocité et jouissance vont de pair. C’est la Quatrième en mode cathartique, plus proche de Varèse que de Mahler. Acoustique grossissante, trop réverbérée. Ecouter
Gurzenich-Orchester Koln, Dmitri Kitaenko (2003) êêê ²²²²
Nous en rêvions, la voilà ! La Quatrième de Chosta sans effet de manche, ni démonstration de force, ni subversive, ni expressionniste, ni cubiste; juste musicale. Tout est toujours bien en place et avance sans brutalité intempestive, ni chute de tension. Les tempi larges permettent de respirer. Beauté plastique et perfection formelle vont de pair. Le chef évite toute froideur analytique, toute chaleur aussi. On est souvent dans le manque, difficile à identifier. Très belle version cependant, plus abordable que bien d’autres, relativement s’entend !
West German Radio Symphony Orchestra, Rudolf Barshai (1996) êêê ²²
Les solos qui parsèment l’œuvre sont ici particulièrement intéressants. La conduite du phrasé est le premier point fort d’une interprétation qui se refuse à aller de l’avant coute que coute. Certains détails émergent de nulle part. D’autres sont estompés, surtout dans le registre grave Cette lecture manque d’assise. Mais quel art de la narration ! (Second point fort) Nous l’avons le second degré, et même le troisième. On respire, comme chez Kitaenko, ce qui n’exclue pas de brusques montées d’adrénaline : les saillies de cuivres ! Une version un peu inaboutie par endroit mais attachante. Prise de son sèche et vivante, qui sépare nettement les pupitres. Ecouter
Philadelphia Orchestra, Eugen Ormandy (1963) êêê ²²
Ormandy et son orchestre, l’une des meilleures phalanges américaine, se tirent sans mal des écueils de cette diabolique partition. Le combat est mené tambour battant. Les différents instruments répondent au quart de tour. Certaines séquences sont ébouriffantes. L’opulence confine parfois à la lourdeur. Manquent l’humour, l’ambiguïté. On est très loin des subtilités de la version précédente. Mais cette énergie positive, cette électricité, cette théâtralité peuvent emporter l’adhésion. Ecouter
La version de référence
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A écouter également
La très pure et très belle Cinquième Symphonie est la porte d’entrée idéale vers le monde de Chostakovitch. L’interprétation très émouvante de Leonard Bernstein (1959) êêêê ²² s’impose sans peine
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