mardi 12 juin 2012

La Fantaisie pour piano de Schumann

1836, Leipzig. Schumann aime Clara, la fille de son professeur de piano. Ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Il interdit à Schumann de revoir Clara. Le musicien accuse le coup, se relève, compose la Fantaisie opus 17, œuvre de combat.

"Le premier mouvement n'est qu'un long cri d'amour vers toi" écrit Schumann. Intense, poignante, c'est l'une des plus belles pages du piano romantique. Il est interdit aux pianistes de la rater.
Deuxième mouvement : décrochage; une marche triomphale, d'une lumière aveuglante en  regard de ce qui précède.
Troisième mouvement : décollage. Quelques arpèges, lente montée, nuit étoilée.

La genèse, la forme, la destination, rien n'est simple dans cette Fantaisie. D'abord en un seul mouvement, elle en gagne deux, s'appuie sur un programme, le perd. C"est une ode à Clara mais elle est dédiée à Franz (Liszt).
L'œuvre est donc redoutable. Il n'existe pas, à notre connaissance, de version de référence. Un jour peut-être, un pianiste nous donnera l'Alpha et l'Omega de cet opus 17. La version que nous plaçons en tête est un coup de cœur.


Catherine Collard (1973)  êêêê ²²
Disparue en 1993, Catherine Collard nous a laissé d’émouvants Schumann. Une énergie farouche, un toucher superbe, voici la Fantaisie la plus charnelle de la discographie. Le premier mouvement, d’une intensité bouleversante, est à lui seul un miracle. Le piano très fruité contribue à l’incarnation de cette version, assez loin du romantisme allemand, mais si près du cœur. Et les silences, si importants dans cette œuvre, ont un poids et une profondeur unique.Ecouter

Elisso Wirssaladze (1994)  êêê ²
Il faut aller au-delà d'une prise de son sèche pour goûter cette prestation de concert. Grande schumannienne, la pianiste russe trouve constamment le ton juste pour décrire les tourments de l'âme, les grands élans d'espoir. Nous sommes au royaume de l'émotion brute. Tout ici semble naturel. Il y a de plus chez l'artiste une capacité d'abandon essentielle dans cette musique. Ecouter plages 6 à 10

Yves Nat (1952, mono)  êêê ²
Réalisée dans les années 50, l'anthologie Schumann d'Yves Nat baigne dans une lumière irréelle : basses énormes, médiums charnus, aigus fins. La Fantaisie est sombre à souhait. La passion déferle, le triomphe menace, la nuit est profonde. Le respect du texte laisse à désirer. Le son est un peu frustre. Mais cet enregistrement a le charme des objets venus d'un autre temps, d'un autre monde.

Eric Le Sage (2006)  êêê ²²²
Cette Fantaisie figure en bonne place au sein d'une intégrale musique pour piano seul et  musique de chambre avec piano de Schumann, réalisée de 2005 à 2010. Le geste est large, conquérant. Le chant s'appuie sur des rythmes solides et des basses généreuses. On ne peut qu'admirer comment l'artiste creuse les contrastes sans jamais perdre la ligne. Dommage que le final ne soit pas assez nocturne, en cause une acoustique trop brillante. Ecouter plages 23 à 25

Vladimir Horowitz (en concert à Carnegie Hall, 1965)  êêê ²²
Le premier mouvement, fantasque à souhait, respire peu. Un vent de folie souffle sur le second, l'un des meilleurs de la discographie. Le troisième mouvement ressemble à une étude de Rachmaninov ou de Scriabine. Horowitz y applique le célèbre principe : "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquée ?" Une version passionnante qui peut agacer, diviser mais ne laisse pas indifférent. Ecouter plages 15 à 18

Sviatoslav Richter (1961) êêê ²
Le grand pianiste russe prend d'emblée la Fantaisie à contre-pied avec un  premier mouvement inhibé, presque atone parfois. Nous sommes en pleine dépression. La vie revient ensuite avec un second mouvement peu triomphal, presque insaisissable. Le début du troisième est superbe. Richter allège les arpèges, creuse le silence. Mais la nuit étoilée passe, vide et froide. Cette approche profondément originale contient des intuitions géniales mais aussi beaucoup d'intentions. Prise de son passable.Ecouter plages 5 à 7

Claudio Arrau (1966)  êê ²²²
Dans le  premier mouvement, nous sommes saisis par cet écheveau de notes épaisses, galbées, par ces graves somptueux. La conduite, souveraine, nous mène à la sublimation de la douleur et de l'espoir. Et puis tout s'écroule avec un second mouvement d'une lourdeur et d'un prosaïsme rédhibitoires. Le final retrouve la grandeur initiale. La nuit étoilée est magnifique. Mais pourquoi ces lenteurs ? Que cherche le pianiste derrière les notes ? Il nous semble que l'on peut interroger le texte sans ralentir à ce point.Ecouter


Notre coup de cœur


A écouter également
La Première Sonate pour piano, dédiée à Clara Wieck, dans la version d'Eric Le Sage (2006) êêêê ²²², l'un des sommets de son intégrale Schumann.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire