dimanche 10 juin 2012

Le Quatuor n° 2 "Lettres intimes" de Janacek

Avec Dvorak, Janacek (1854 - 1928)  est l’un des plus grands compositeurs tchèques. Mais ce n’est qu’à cinquante ans, en 1904, qu’il trouve son style le plus personnel avec la création de son opéra Jenufa.
En 1917, il rencontre celle qui deviendra sa muse : Kamila Stöslova, de 38 ans sa cadette. C’est le début d’une liaison platonique, mais surtout, d’une floraison de chefs d’œuvres. Parmi eux figure ce Second Quatuor dont le titre fait référence à sa correspondance avec son égérie (plus de mille lettres).

« Lettres intimes » a été composé en 1918 en seulement trois semaines. Mais il s’agit d’un des plus remarquables quatuors du XXème siècle. Lyrisme intense, expressionisme et inspiration populaire caractérisent cette œuvre singulière.
Janacek avait initialement écrit pour 2 violons, viole d’amour et violoncelle. Mais il révisera la partition quelque mois avant sa mort, remplaçant la viole d’amour par l’alto. Certains interprètes ont choisi d’enregistrer les deux configurations.


Quatuor Vlach (1969)  êêê ²²²
Plus de quarante années ont passées et cette interprétation reste la plus intensément lyrique, celle qui va chercher au plus profond de l’émotion amoureuse. Mais ce sont les ondes les plus sombres qui nous parviennent : la mélancolie, la tristesse, la douleur. Même le thème principal du dernier mouvement, très dansant ailleurs, est ici très tenu, ambiguë. Aucune affectation ni dolorisme cependant. La musique dit simplement ce que les mots ne peuvent exprimer. Seule réserve : le violoncelle est en retrait par rapports aux autres instruments. Une broutille.

Quatuor Diotima (2008)  êêê ²²²²
Cette lecture très charnue parvient à un bel équilibre entre lyrisme et expressionisme. Mais ce qui frappe ici, c’est le somptueux travail sur la matière sonore et les timbres, avec ces frottements de grain entre instruments qui est l’un des plaisirs de la musique de chambre. Le relief est saisissant, tout comme les variations d’humeur. Témoin ce troisième mouvement de plus en plus haletant. Superbe prise de son, réverbérée mais sans froideur ni agressivité. Ecouter plages 1 à 4

Membres du Quatuor Diotima, Garth Knox  (2008)  êêê ²²²²
Les mêmes, sauf qu’un violiste a remplacé l’altiste. La viole d’amour offre des sonorités douces et feutrées, moins chaudes que l’alto. Dans les épisodes plus vifs, on ne l’entend pas très bien. L’équilibre instrumental s’en trouve affecté mais pas fondamentalement. C’est intéressant mais c’est juste une option musicologique, pas un révélateur ni une nouvelle clé de ces « Lettres intimes ». L’œuvre demande d’aller bien au-delà d’une étude de timbres, ce que les musiciens réussissent parfaitement. Ecouter plages 9 à 12

Quatuor Hagen (1988)  êêê ²²²
Moins riche en couleur, plus nuancés que les Diotima, les Hagen jouent deux cartes maîtresses : les différences d’intensité sonore et la caractérisation. Réussite totale pour la première. Certaines séquences sont murmurées, les silences nous clouent sur place. La caractérisation est parfois un peu trop systématique. Ces quatre-là ont un talent fou et nous le montrent. Parfois très lyrique, parfois si peu, expressionniste mais pas trop sauf dans un final stupéfiant, c’est la version la moins spontanée que l’on puisse imaginer. L’acoustique crémeuse et artificielle contribue à la singularité de cet enregistrement. Ecouter plages 5 à 8

Vlach Quartet Prague (1995)  êêê ²²²
La balance penche très nettement du côté du lyrisme. Soudain, ces lettres s’éclairent, regardent vers la lumière. Cela fait du bien après les versions précédentes (et avant la suivante). On retrouve cette veine populaire qui nous manquait jusqu’ici. Le premier violon est un poil trop charmeur et la plastique de ce quatuor un peu grasse. Très bien, néanmoins, pour découvrir l’œuvre. Ecouter plages 5 à 8

Quatuor Belcea (2001)  êê ²²
Attention quatuor méchant ! Ces jeunes gens ont affutés les couteaux et travaillent la chair avec une précision chirurgicale. Question : l’expressionnisme et le naturel sont-ils incompatibles voire antinomiques ? Réponse affirmative en l’occurrence. Le style est ostentatoire, conforté par une prise de son dure et froide. Dommage car il y a de très beaux phrasés, de belles vibrations comme on dit.Ecouter plages 5 à 8

Quatuor Talich (1985)  êê ²
C’est ici, le naturel; sauf que cette version a pris un petit coup vieux. Pas seulement à cause d’une prise de son cotonneuse et de prestations ultérieures plus hautes en couleurs. Cette rondeur et cette tristesse qui verrouillent les élans du cœur installent une grisaille étrangère à cette œuvre poignante et sensuelle. Des Lettres intimes, oui, mais d’amoureux transi. Ecouter


Les deux versions conseillées






A écouter également
Le Quatuor n° 1 « Sonate à Kreutzer », par le Quatuor Vlach (1969)  êêêê ²²²


1 commentaire:

  1. Bonjour et merci pour votre blog qui est fort bien tenu! Je viens de découvrir la version 1966 du Quartet Janáček, laquelle me semble également intéressante, on la trouve sur YouTube à l'adresse suivante:
    http://www.youtube.com/watch?v=NYmMDDLPy20
    Et je vous laisse juger...
    Avec mes meilleures salutations,
    Jacques Cramatte, Suisse et Guatemala

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