lundi 18 juin 2012

Les Années de pèlerinage de Liszt

Le personnage se traine une réputation de pianiste virtuose, de « bête de scène », de séducteur qui  déteint sur l’idée que l’on se fait généralement de sa musique. Or Liszt a écrit beaucoup de pages belles et profondes, telles ces Années de pèlerinages.
Derrière ce titre énigmatique se cache un cycle de vingt-six pièces pour piano ébauchées, composées, reprises, révisées durant une quarantaine années, de 1836 à 1877. C’est, en quelque sorte, un journal de voyage (Première et Deuxième Années), puis une quête spirituelle (Troisième Année).
On retrouve dans ces trois recueils toute la diversité de la musique pour piano de Liszt.

La Première année : La Suisse comprend des pièces initialement composées en 1835 - 1836, révisées de 1848 à 1855. La Nature et l’amour pour la Comtesse Marie d’Agoult sont les deux  fils conducteurs de ces pages éminemment romantiques.
La Seconde Année : L’Italie (1839 - 1849), inspirée par l’art et la littérature italiens, est déjà plus sombre et se termine par le tempétueux « Après une Lecture de Dante ». Trois pièces plus légères : le Supplément « Venezia y Napoli » viennent compléter le recueil en 1858.
Dans La Troisième année : L’Italie (1867 - 1877), apparaît la dernière manière de Liszt. Les couleurs sont encore plus sombres, le style plus concentré. Ces pièces, souvent austères, comptent parmi les plus fascinantes écrites par le compositeur. Le romantisme est bien loin. Les Jeux d’eaux à la Villa d’Este préfigurent Ravel. Liszt inaugure l’ère du piano moderne.

Les enregistrements d’extraits isolés sont légion : Vallée d’Oberman, Après une lecture de Dante, Sonnet 104 de Pétrarque, Jeux d’eau à la Villa d’Este principalement. Peu de pianistes ont enregistré le cycle entier, qui représente 2 heures 40 à 3 heures de musique dans la plupart des versions.


Cycle intégral

Michael Korstick (2008 - 2010)  êêê ²²
Tout est permis, tout est possible avec ce pianiste allemand, des plus subtiles douceurs à la plus grande sauvagerie, de l’indicible émotion à la folie pure. Cette interprétation ressemble à une immense improvisation. Mais rien n’est laissé au hasard. Un sens aigu de la construction sous-tend ces Années de pèlerinage, très incarnées. La pluie d’Orage crépite, Le Mal du pays oscille entre mélancolie et tristesse .Seule ombre au tableau : des timbres rustiques qui pénalisent un peu certaines pièces des Deuxième et Troisième années. Mais ce son impur procure aussi un certain plaisir. Une gravure à fleur de peau.Ecouter plages 1 à 7

Muza Rubackyté (2003)  êêê ²²²
L’esthétique est ici radicalement différente .Cette artiste russe a un beau toucher, rond et galbé. La densité sonore est omniprésente, jamais envahissante. Même les pages épiques sont jouées avec une délicatesse qui enchante. Après une Lecture de Dante n’a pas ce côté écrasant de tant d’autres versions. Certaines pièces sont magiques : Vallée d’Oberman, Sonnet 104 de Pétrarque, Aux cyprès de la Villa d'Este 2. D’autres, curieusement, souffrent d’une certaine lourdeur, comme ces Jeux d’eau à la Villa d’Este, si peu liquides. Mais il faut saluer cette volonté d’inscrire ces trois recueils dans une certaine intimité, même la mystique Troisième Année.

Lazar Berman (1977)  êêê ²²²
Très souvent cité, cet enregistrement est un incontournable. Est-ce pour autant La référence ? C’est incontestablement du très grand piano, puissant, nuancé et architecturé. La Canzone en suspension, le travail d’orfèvre sur le Sonnet 104, des Jeux d’eau miroitants mais qui ne saturent pas dans l’aigu comme souvent ailleurs, nombreuses sont les pièces qui forcent l’admiration. D’où vient que nous sommes plus souvent impressionnés qu’émus ? Est-ce le côté intimidant des pièces de grande envergure, cet instrument avec ses graves puissants mais secs ? L’intelligence prime sur la sensation, comme si le pianiste voulait tenir l’auditeur à distance et garder pour lui les mystères de ces trois journaux intimes. Ecouter

Nicolas Angelich (2003)  êêê ²²²²
Quel beau piano, quelle finesse, quel raffinement sonore ! Une acoustique de rêve. Ce disque est un objet étrange venu d’ailleurs. Aucun pianiste auparavant n’avait osé une lecture aussi radicale, à commencer par le timing : 3h 35. Longue est la Première Année. L’Orage passe au loin; le jour met bien du temps à se lever sur la Vallée d’Oberman. La Seconde et surtout la Troisième Année sont, en revanche, plus convaincantes. Le pianiste en restitue toutes les richesses harmoniques (le chant à la main gauche dans le Sonnet 104 !) Une vision cérébrale, qui peut laisser de marbre ou se refermer sur vous tel un immense piège. Ecouter 


Cycle sans le supplément « Venezia y Napoli »

Aldo Ciccolini (1954, mono) êêê ²²²
Vingt-huit ans avant sa célèbre intégrale de 1982, le grand pianiste italien gravait cette première mouture des Années de Pèlerinage, plus singulière, plus habitée. D’autres éléments pèsent en faveur de cette version initiale : la concentration, la hauteur de vue, la qualité du report en CD. Et surtout cette netteté du trait qui rattache ces Années de pèlerinage à la tradition du grand piano français (Ciccolini s’est établit à Paris en 1949). On peut trouver le style austère (si peu de pédale !) ou succomber à la sauvage beauté de cette lecture, à ces basses magnifiques qui sculptent un paysage sombre à l’infini. Ecouter


La version conseillée



Pour les pèlerins : les plus beaux sites, nos bonnes adresses, nos meilleurs guides


Korstick
Rubackyté
Berman
Angelich
Ciccolini
Au lac de Wallenstadt
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Orage
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Vallée d'Oberman

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Le Mal du pays
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Les Cloches de Genève
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Sposalizio
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Il Pensero
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Sonnet 104 de Pétrarque

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Après une lecture de Dante

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Canzone


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Aux cyprès de la Villa d'Este 1
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Aux cyprès de la Villa d'Este 2

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Les Jeux d'eau à la Villa d'Este


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Sunt lacrymae rerum
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