lundi 18 juin 2012

Les Miroirs de Ravel



Composées en 1904 - 1905, ces cinq pièces pour piano sont chacune dédiées à un membre d’un groupe d’écrivain et de musiciens : la Société des Apaches, dont fait partie Ravel.
Parmi les dédicataires figure le pianiste Ricardo Vinès, qui créé l’œuvre le 6 janvier 1906 à Paris.
Les Miroirs marquent une évolution du piano ravélien. Les harmoniques sont plus complexes De même l’architecture sonore. Ainsi les effets d’écho dans la seconde et la dernière pièce.

Noctuelles désignent des papillons de nuit.
Oiseaux tristes « évoque des oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre aux heures les plus chaudes de l’été » selon l’auteur.
Une Barque sur l’océan est la plus connue des cinq pièces et sans doute celle qui a le plus contribué à faire classer cette œuvre dans la catégorie des musique impressionnistes.
Alborada del Gracioso (l’Aubade du Bouffon) a un caractère très hispanisant. L’Espagne est très à la mode auprès du public et des compositeurs de l’époque.
La Vallée des cloches, dédiée au compositeur Maurice Delage (élève de Ravel) est la seule des cinq pièces à refléter une réalité : le son des cloches de midi à Paris.

Les versions de qualité abondent mais les pianos très sonores et les acoustiques résonnantes sont souvent de mise. L’écoute en est fatigante. Les subtilités de couleurs du piano ravélien en pâtissent. Aussi n’avons-nous retenu que des interprètes qui évitent ces travers.


Marcelle Meyer (1955, mono) êêêê ²²²
A mille lieux du climat fabriqué, du toucher séduisant de nombre d’interprétations ultérieures, ces Miroirs fluides, ancrés dans le grave sont d’une pureté étonnante. La pianiste joue avec une telle aisance qu’on croirait cette musique écrite pour elle. Peu importe si la barque semble voguer sur un océan de poche, si la Vallée des cloches fait très cathédrale engloutie. Le sortilège opère. L’acoustique y contribue. Il y a beaucoup de relief, une matière sonore resserrée autour de basses profondes, des forte qui menacent de la déchirer. Un épais mystère plane sur cette version. Nous vous conseillons l’écoute de nuit, toute lumière éteinte.

Jean-Philippe Collard (1977 - 1978)  êêêê ²²
Chez Meyer, on retient son souffle. Ici, on respire. Collard joue la profondeur de champ, l’étagement des plans sonores. La conception est picturale et sensuelle. Les chants d’oiseaux sont des caresses, les vagues s’écrasent sur la barque. Une obscurité menaçante gagne lentement mais sûrement l’Alborada. Attentif au moindre détail, le pianiste évite toute surcharge expressive. Il nous montre simplement comme cette musique est bien écrite. Beaucoup de délié dans le toucher ajoute aux charmes d’une interprétation vivante et limpide.

Samson François (1967)  êêê ²²
Aussi incontournable dans Ravel que dans Chopin, Samson François rate son entrée avec des Noctuelles confinées. Mais l’on retrouve ensuite ce style très cursif, ces éclats de couleurs, ces traits acérés. La violence irrruptive d’Oiseaux tristes donne la chair de poule. Portée par le ressac et luisantes de gouttes, la barque nous conduit vers le rêve. La douce tristesse qui imprègne la Vallée, les instants suspendus d’Alborada captent tout autant notre attention.

Philippe Bianconi (2003)  êêê ²²²
C’est une prestation de concert, dans un théâtre de Marseille, sans les défauts de nombreux enregistrement« live ». L’acoustique est peu résonnante. La prise de son, ni trop flatteuse, ni  « brute de fonderie », nous met à distance idéale du piano. Architecte du son, Bianconi sait arrondir et faire saillir, tailler les notes et profiler les accords à la perfection. Peu de pédale, bien entendu. Ce pianiste est un pur. Magnifique construction, ces Miroirs raviront les amateurs de grand piano et laisseront de marbre ceux (celles) qui aiment rêver en musique.

Elena Rozanova (2001)  êêê ²²²²
Beaucoup de matière, peu de climat, comme dans la version précédente. Mais le piano est ici proprement somptueux, avec une assise, une carnation assez inhabituelle dans ce répertoire. Les tempi sont parfois un peu rapides, les attaques un rien trop lourdes. Mais l’on sait gré à cette pianiste russe de jouer cette musique avec autant de sensualité et de legato. Le relief est un plus. Ravel en mode charnel.


Les deux versions de référence





A écouter également
Une autre œuvre pour piano, toute aussi fascinante : Gaspard de la nuit, sous les doigts de Samson François (1967)  êêêê ²²

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