lundi 18 juin 2012

Les Six Klavierstucke op 118 de Brahms

 Le piano seul occupe une place essentielle dans l’œuvre de Brahms, qui fut pianiste de cabaret puis écrivit d’abord pour le piano avant d’élargir son champ de création.
Brahms restera toute sa vie un grand pianiste et composera des pages magnifiques pour son instrument de prédilection, comme les trois derniers recueils : les opus 117, 118 et 119.
L’opus 118 est peut-être le plus beau d’entre eux, sûrement le plus équilibré. Ecrit en 1892, Brahms a 59 ans, il comporte six pièces d’humeur différente mais reliées thématiquement. Une mélancolie automnale s’en dégage, troublée par des sommets d’intensité.

L’œuvre commence très fort avec un premier Intermezzo tendu, menaçant. Suit un second Intermezzo, en fait un nocturne, d’une beauté ineffable. Puis c’est la roborative Ballade, avec son rythme bien frappé. Survient un troisième Intermezzo frémissant, un peu étrange. Entre  berceuse et choral, la Romance devient source d’eau pure. Dans le fantastique Intermezzo final, la musique semble d’abord venir d’un autre monde, s’élève soudain avec force avant de retomber dans le climat irréel du début.
Cet opus 118 regorge d’harmoniques audacieuses pour l’époque, de celles qui ont fait écrire à Schoenberg un article intitulé « Brahms le progressiste »


Hélène Grimaud (1991)  êêêê ²²²²
C’est l’un des plus beaux enregistrements de la belle Hélène. Un beau piano, un beau toucher, des notes galbées, un sens aigu de la phrase musicale. La pianiste fait bien ressortir les ambiguïtés rythmiques et harmoniques de chacune des six pièces. Ce jeu à fleur de peau peut paraitre très véhément pour un Brahms au crépuscule de sa vie. Mais cet opus 118 est une musique du tourment, pas de la résignation.
Attention ! Ne pas confondre cette version avec celle enregistrée par Hélène Grimaud pour Erato, pénalisée par une acoustique brillante et froide.Ecouter Disque 5 pistes 6 à 11

Radu Lupu (1976)  êêê ²
Aigus un rien métalliques, graves cotonneux, prise de son compacte, la première impression risque d’être mitigée; d’autant que le pianiste roumain a un jeu plutôt serré. Mais écoutez ces notes perlées comme nulle part, ce cantabile, ces séquences d’une tension impressionnante comme la montée d’intensité retardée dans l’Intermezzo final. Une puissante mélancolie imprègne tout le cycle. Radu Lupu nous conte l’indicible. Son opus 118 est poésie pure. Ecouter plages 6 à 11

Inger Sodergren (1980)  êêê ²²
Peu connue en France, la pianiste suédoise a gravé trois disques Brahms tout à fait singuliers. Cet opus 118 atteint un niveau de concentration proprement stupéfiant. Dans les épisodes lents, on écoute les notes tomber les unes après les autres. D’autres passages sont d’une violence rentrée impressionnante. On pense à Richter dans certains répertoires avec ce niveau d’ascèse musicale qui force l’admiration...ou décourage, c’est selon. La prise de son mâte et  recluse renforce le coté lapidaire de cette version constamment sur le fil du rasoir.

Anna Gourari (2009)  êêê ²²²²
Il n’y a pas de doute : cette jeune pianiste russe veut nous faire aimer les Klavierstucke opus 118 de Johannes Brahms. Elle les joue le cœur sur la main, sans affectation, avec une belle énergie lorsque la partition le requiert, en accusant les contrastes. Le piano est somptueux, très « spatial », trop sans doute pour une œuvre aussi intimiste.

Philippe Cassard (2009)  êê ²²²²
Parue quelques semaines après celle d’Anna Gourari, cette version est bien différente. Cassard dissèque chaque pièce avec une précision d’entomologiste pour en tirer la substantifique moelle. L’espace sonore est aussi vaste que chez Gourari mais l’on respire moins bien. La lenteur de certaines pièces : second Intermezzo, Romance, les sonorités verts- de-gris, plombent cette interprétation intéressante mais d’une tristesse glaçante à la longue. Ecouter plages 11 à 16

Stephen Kovacevich (1981)  êê ²²²
Au fil de ses enregistrements, le pianiste américain a su imposer la ligne claire dans Brahms. Son jeu est fluide et précis, ses rythmes francs. Ce piano chante. La musique avance. La netteté des graves induit un très beau climat dans l’Intermezzi final, l’un des plus réussi de la discographie. Mais le second Intermezzo, la Romance sont trop rapides. L’artiste ne met pas assez en valeur ces césures qui font basculer la mélancolie ou le rêve dans la douleur.Ecouter Disque 1 plages 11 à 16

Julius Katchen (1965)  êê ²²
Il faut sans doute réévaluer l’intégrale des œuvres pour piano de Brahms réalisée par Julius Katchen dans les années 60. Cet opus 118 est certes bien construit, nuancé et d’une belle vigueur. Mais il manque profondément de chaleur et de couleur. Cela fait bien longtemps qu’on ne joue plus Brahms avec ce style hautain, renforcé par une prise de son compacte.Disque 5 plages 9 à 14



La version de référence



A écouter également
Les Intermezzi op 117 par Stephen Kovacevich (1968)  êêêê ²²²
 ou Anna Gourari (2009) êêêê ²²²²
Les  Klavierstucke op 119 par Inger Sodergren (1994)  êêêê ²²²

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