lundi 18 juin 2012

Schwanengesang (Le Chant du Cygne) de Schubert

1828. Schubert est rongé par la syphilis mais trouve la force de composer ses ultimes chef d’œuvres : la Fantaisie pour deux pianos, la Messe en si bémol, la Symphonie « la Grande », le Quintette, les trois dernières sonates pour piano et deux bouquets de lieder sur des textes des poètes allemands Ludwig Rellstab et Heinrich Heine.
 
Après la mort du compositeur le 19 novembre, son éditeur décide de réunir ces deux recueils en un seul. Il y a treize lieder, chiffre fatidique. Aussi leur adjoint-t-il un quatorzième lied d’après Johan Gabriel Seidl, poète autrichien de moindre envergure. Il s’agit donc d’un collage, à des fins commerciales, dirait-on aujourd’hui, avec une jolie trouvaille marketing : nommer ce recueil « Le Chant du Cygne ». Racoleur mais efficace puisque cette compilation est passée à la postérité.
On retrouve dans ces quatorze poèmes quelques-uns des grands thèmes du romantisme allemand : l’amour exprimé en harmonie avec la nature, l’amour non partagé, la perte de l’être aimé, l’éloignement du foyer. Et la figure du Wanderer, le vagabond, au cœur du Voyage d’hiver traverse quatre lieder. Dans l’un d’entre eux, le narrateur surprend son double.
Prémonition de la Mort ? Quoi qu’il en soit, cette ultime floraison est un des sommets de l’art schubertien de la miniature lyrique.


Versions avec voix d’homme

Werner Gura (ténor), Christoph Berner (pianoforte) (2006)  êêêê ²²
Au premier abord, cette version ne paye pas de mine. La prise de son manque quelque peu de présence. La voix paraît fragile, un peu pâle. Le pianoforte, pas très beau, a parfois tendance à prendre le dessus. Mais sous la braise couve un feu terrible, une immense tendresse aussi. Le ténor chante l’exhaltation de l’amour, le désir inassouvi, le poids de la solitude. Le pianiste construit d’envoutants climats. Die Stadt (La Ville), Am Meer (La Mer) et Der Dopplelganger (Le Double) composent une suite hallucinée. Et partout, nous entendons Schubert rire, pleurer, crier. Bouleversant. Ecouter

Christoph Prégardien (ténor), Andréa Staier (pianoforte) (2008)  êêê ²²²²
Après celle de Gura, la voix de cet autre ténor allemand semble taillée dans le roc : charnue, puissante et colorée. Clarté de l’élocution et force expressive vont de pair. Celles et ceux qui n’aiment pas les voix de ténor pourront même s’y retrouver. Le pianoforte d’Andreas Staier risque en revanche de faire grincer bien des becs. Plus typé que celui de Berner, moins sonore, on y entend d’étranges finales dignes de la musique atonale. Certains lieder en deviennent inquiétants. D’autres caracolent gaiement. L’ensemble pourrait être un peu plus chaleureux. Très intéressant, en tout état de cause. Ecouter plages 2 à 15

Thomas Quasthoff (baryton-basse), Justus Zeynen (piano) (2000) êêê ²²²²
Les vannes s’ouvrent. Une eau sombre et lourde jaillit, le cygne s’envole. Le chant se déploie, sans retenue, chaud et dense, à l’instar de ce piano, somptueuse trame telle un orchestre symphonique. Du murmure jusqu’à la déclamation, de la douceur à la détresse, Quasthoff chante magnifiquement. Un Schwanengesang extraverti, homogène, peut-être un peu trop solide, assez loin de l’image d’un Schubert aux abois. Le lied vous ennuie ? Essayez cette version. Ecouter plages 1 à 14

Dietrich Fischer-Dieskau (baryton), Gerald Moore (piano) (1962) êê ²²
Le monde du lied n’a aucun secret pour Fischer-Dieskau. Il a même enregistré tout Schubert, soient 625 Lieder. C’est la seconde des trois versions avec Moore. DFD s’investit totalement, dans tous les poèmes, jusqu’au paroxysme pour les plus sombres. A la fois personnage et narrateur, il ne laisse rien dans l’ombre. La voix n’est pas très belle, un peu metallique. Moore est un grand accompagnateur. Mais on trouvera sans peine des pianistes plus intéressants.Ecouter plages 1 à 14


Version avec voix de femme

Nathalie Stutzmann (contralto), Inger Sodergren (piano) (2005)  êê ²²²
La contralto française a beaucoup de courage. Elle s’expose énormément dans cette œuvre, qu’elle réussit à chanter avec une belle ampleur, surtout dans le grave. Mais partout ailleurs, le vibrato menace et affecte le chant en profondeur. Mettre le ton, suivre le texte dans ses moindres inflexions est au-dessus de ses forces. La pianiste échafaude une magnifique ossature. Son instrument, chaud et fruité, est la pièce maitresse de cet enregistrement. Ecouter plages 7 à 19


La version de référence




A écouter également
Le Voyage d’hiver par Brigitte Fassbaender et Aribert Reimann (1988)  êêêê ²²

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire