lundi 18 juin 2012

Les Vingt-quatre Préludes de Chopin

Les plus anciens sont esquissés en 1835. Le recueil est terminé en 1839, à Majorque, dans un monastère isolé en pleine montagne. Mais le séjour, censé redonner la santé à Chopin, débute bien mal.
 Accueil glacial des habitants, temps exécrable, humidité des lieux, confort spartiate. Le piano Pleyel met deux mois pour arriver. Un mois plus tard, les amants plient bagages et rentrent à Paris. Au moins ce séjour aura-t-il permis à Chopin de terminer cette œuvre, quintessence de son art et du piano romantique tout entier, aux côtés de la Fantaisie de Schumann, de la Sonate de Liszt et des pièces pour piano op 117 à 119 de Brahms. 

Chopin est un inventeur de génie. Il a créé le prélude qui ne précède ou n’introduit rien, se referme sur lui-même au bout de quelques minutes voire même en 30 secondes. Libre à l’auditeur d’imaginer une suite, sauf que le prélude suivant, complétement différent, efface immédiatement le souvenir du précédent. C’est bien le miracle de cet opus 28 : faire se succéder vingt-quatre morceaux qui s’interrompent ou s’évaporent, tandis qu’émerge de cet apparent chaos une parfaite cohérence. Il y a une logique dans l’enchainement des tonalités. Nul besoin cependant d’être pianiste ou musicologue  pour trouver les véritables clés de cette unité : la poésie et le rêve. Mais l’un et l’autre ont besoin d’espace et d’imagination pour s’épanouir. Comment aérer une œuvre aussi morcelée ? Dans ce contexte, la durée du silence entre chaque prélude est une question capitale. Et la réponse varie d’un interprète à l’autre.


Grigory Sokolov (1990)  êêêê ²
Espaces inter - préludes erratiques : de 0 à 9 secondes, 16 préludes enchainés
Captivante et dérangeante, cette interprétation s’appuie sur l’absolue singularité de chaque pièce, avec toujours une nuance imprévue, une fantaisie : fluctuation  de tempo, d’intensité sonore, contre-chant capricieux, effet de pédale sur quelques notes seulement. Même les préludes les plus rapides sont subtils, les plus lents, très lents et troubles : dantesque 20ème ! Il y a des pianissimo insensés au beau milieu d’une pièce, des préludes qui n’en finissent pas de s’éteindre, des enchainements brutaux, de longs silences. L’œuvre menace plusieurs fois de se déliter. Mais tout se tient. Sokolov invente la cristallisation poétique et l’échappée onirique permanentes et fait oublier la prise de son terne. Génial ! Ecouter

Shura Cherkassy (1968)  êêê ²²²
Espaces inter - préludes : 2 à 6 secondes,
La musique se déguste comme une cuillère de miel, s’étire comme une caresse, s’élance telle une gerbe d’eau filmée au ralenti, s’éteint dans le velours d’une nuit chaude. L’irisation sonore, la douceur des attaques, le toucher somptueux emmènent sur les rivages du plaisir. Et peu importe si la fulgurance, la passion ne sont pas au rendez-vous. Cette version nous ouvre toutes grandes les portes du rêve. Ecoutez les 8ème et 23ème Préludes, extraordinaires !Ecouter Disque 2 plages 3 à 26

Geza Anda (1959)  êêê ²²
Espaces inter - préludes réguliers : de 1 à 5 secondes, 2 à 3 secondes le plus souvent
Difficile de comparer cette version aux précédentes. Elle vient d’une époque où l’on jouait Chopin plus rapide, moins affecté. Le style est rude, bien trempé, l’acoustique sèche, avec de beaux graves tout de même. L’écoute attentive permet de déceler de subtiles inflexions de tempo. Derrière la fermeté rythmique, la clarté, l’on devine la fragilité, et une qualité très précieuse dans cette musique et un peu perdue de vue aujourd’hui : la noblesse. Ecouter Volume 2 plages 1 à 24

Samson François (1959)  êêê ²
Espaces inter – préludes très réguliers : 1 à 3 secondes, 2 secondes le plus souvent
La prise de son rocailleuse est un sérieux handicap pour une première approche. Mais pour tous ceux qui aiment ce pianiste, cet enregistrement reste incontournable. Samson François dans Chopin, c’est le grand style, le chant et en même temps la fantaisie, l’imprévisible. Ici le toucher superbe, les notes sculptées voisinent avec des lignes chahutées, des coups de griffes, des précipités, des scories. Très habités mais hantés de la cave au grenier, ces Préludes à la « Dr Jekyll et Mr Hyde » résonneront encore longtemps dans les souvenirs. Ecouter Volume 2 plages 7 à 30

Maurizio Pollini (1975)  êêê ²²
Espaces inter - préludes : 0 à 5 secondes, 12 préludes enchainés
A-t-on jamais connu Préludes aussi peu chantants, peu timbrés, aussi secs et décantés ? Les plus lents sont sibyllins, les plus riches émaciés, les plus rapides dévalés. Quelques-uns s’infléchissent vers la fin; un soupçon de sentiment affleure…vite envolé. Peu de silence. De rêve, de poésie, nenni, juste quelques frémissements, de beaux pics d’intensité, quoique soutenus par des basses décharnés. Ces préludes empoisonnés distillent un désespoir glacé, une insidieuse oppression. Fascinants ou rédhibitoires, c’est selon. Ecouter

Rafal Blechacz (2007)  êê ²²²
Espaces inter - préludes irréguliers : 0 à 9 secondes, 6 préludes enchainés
Et si l’on retrouvait la beauté originelle de la musique de Chopin, délivrée de toute intention stylistique, poétique ou psychologique ? C’est l’option que défend ce jeune pianiste polonais, au jeu clair et nuancé, souple et précis. Il y a longtemps qu’on n’avait entendu opus 28 aussi joliment troussé, autant de finesse et de fermeté au service du chant. Sans parler du relief. Mais on aimerait un peu plus de profondeur et de dramaturgie. Ecouter


La version de référence


    
A écouter également
Les Quatre Ballades et les Nocturnes op 27 et 48 n° 2, sur un pianoforte Pleyel de 1848, par Nelson Goerner (2005)  êêêê ²²²²

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