lundi 18 juin 2012

La Lulu - Suite de Berg

Entrez dans le monde d’Alban Berg, avec cette musique étrange, qui peut sembler décadente mais qui puise profondément dans l’œuvre des grands maîtres allemands et autrichiens.

Berg, le style
Berg (1885 - 1935), qui admirait Bach et les romantiques allemands, n’était pas un dogmatique de l’écriture. Ses œuvres, même atonales et/ou dodécaphoniques (utilisant les douze sons de la gamme chromatique) restent empreintes du lyrisme postromantique de Mahler, ce qui les rend beaucoup plus accessibles que celles de Schoenberg ou de Webern. Il y a certes des dissonances, des harmoniques bizzares, mais aussi de singulières atmosphères. La beauté nait de l’ambiguïté.

Lulu, l’opéra
En 1929, Berg entame la réalisation d’un second opéra (après Wozzeck). Cette entreprise est interrompue par la composition du Concerto pour violon « à la mémoire d’un Ange » puis par la mort de Berg en 1935. Seuls les deux premiers actes sont alors achevés. Friedrich Chera, compositeur autrichien, termine l’acte III en 1979 d’après les indications d’instrumentation laissées par Berg. Pierre Boulez assure la création française le 24 février de la même année à Paris, avec Patrick Chéreau à la mise en scène. L’opéra nous conte le destin de Lulu : son ascension sociale, son mariage avec le Dr Schon, ses nombreux amants, sa descente aux enfers jusqu’à la prostitution, puis son assassinat par un client qui n’est autre que Jack l’Eventreur. Premier opéra dodécaphonique, l’œuvre est devenu un classique.

Lulu, la suite
Dans les années 30, en Autriche et en Allemagne, le livret de Lulu était hautement subversif. Les théâtres lyriques qui avaient prévu de programmer l’opéra revinrent sur leur engagement. Pour faire connaitre l’œuvre, toujours inachevée, et assurer sa diffusion en Europe, Berg écrivit en 1934 une suite d’orchestre tiré des actes II et III, en cinq mouvements dont deux avec voix de soprano :
-       Rondo, Hymne : scène d’amour entre Lulu et Alwa, le fil du Dr Schon
-       Ostinato : arrestation, procès, emprisonnement et évasion de Lulu
-       Lied de Lulu : l’héroïne  justifie sa vie dissolue.
-       Variations sur un air de cabaret
-       Adagio : mort de Lulu. Point culminant : frappée par Jack l’Etrangleur, Lulu pousse un cri figuré par un tutti orchestral.


Margaret Price, London Symphony Orchestra, Claudio Abbado (1971)  êêêê ²²²²
Abbado veut nous convaincre qu’une musique dodécaphonique peut être belle et sensible. Il a les moyens de son ambition : un orchestre magnifique, une soprano à la voix puissante et chaude. Il met en valeur la clarté des textures et la continuité de l’écriture. L’ambiance séraphique des premier et troisième mouvements séduit, de même la précision stupéfiante du second. Mais c’est dans l’Adagio final que le chef italien sort sa carte maitresse. La montée des cordes de la première section atteint une dimension cosmique. Et les derniers accords, doux et implacables, nous laissent au bord du vide. Une Lulu-Suite pour l’éternité. Ecouter plages 1 à 5

Arleen Auger (soprano), City of Birmingham Symphony Orchestra, Simon Rattle (1987-88)  êêê ²²
Le chef anglais nous emmène dans des contrées profondes et reculées, du côté de la fable
fantastique, loin du contexte urbain de l’opéra. L’émotion, une certaine affectation (phrasés des cordes) surprennent. La voix douce d’Arleen Auger se love dans l’orchestre. Mais le loup est au fond du bois. L’air de cabaret en fin de quatrième mouvement est sinistre. Et la peur rôde dans l’Adagio. Le cri de Lulu déchire le silence. Sa violence cloue au sol (attention aux tympans, cardiaques s’abstenir). Cette version mystérieuse, très mahlérienne, se nourrit du postromantisme mais pour en souligner la déliquescence. L’expressionnisme est bien là. Ecouter plages 12 à 16

Judith Blegen, New York Philharmonic, Pierre Boulez (1980)  êêê ²²
Changement complet de décors. Finies les effluves postromantiques. Derrière le grand chef d’orchestre se profile le compositeur et une vision résolument moderne. Boulez surligne les arêtes, les stridences, les éclats de cette musique. C’est la seule version où l’on entend très clairement le piano. C’est aussi la seule où résonne un vrai cri humain. Humain ? Pas sûr. La direction au scalpel, les sonorités métalliques, la voix blanche de la cantatrice et ce cri saisissant hérissent le poil ou glacent les sangs. Réservé à un public averti. Ecouter plages 1 à 5

Geraldine McGreevy, Gothenburg Symphony Orchestra, Mario Venzago (2007)  êê ²²²
L’opulence orchestrale fait penser par moment à Richard Strauss, le lyrisme en moins. L’Ostinato au rouleur compresseur, la voix et l’orchestre qui rivalisent de présence dans le Lied emportent l’adhésion. Mais cette interprétation haute en couleur est piégée par sa densité : trop de son, pas assez de musique, pas assez de creux, de ces zones d’ombre ou de silence qui précèdent l’effroi. Le cri de Lulu est d’une lourdeur qui frise le ridicule.


La version de référence


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